Quand le storytelling rend les plats de Topchef indigestes

Jun 17 2022
La 13ème saison de Topchef vient de s’achever avec la victoire de Louise. Et avec un goût amer dans la bouche… de storytelling.

La 13ème saison de Topchef vient de s’achever avec la victoire de Louise. Et avec un goût amer dans la bouche… de storytelling.

De cette saison, on peut (déjà) tirer quelques constats :

  • on ne servira plus un plat sans anguille fumée ou ail noir, arrêté préfectoral
  • on ne proposera plus de pommes de terre sans au moins 3 déclinaisons, sous peine d’insulter ses convives
  • et SURTOUT, on ne “partira” plus sur un plat sans proposer une histoire émouvante vécue dans son enfance avec ses parents ou grands-parents

Le sandwich de la honte

Pratiquement sur chaque plat, il est désormais la norme de justifier le choix de sa recette par un souvenir fort vécu dans sa chair :

Je ne vais pas préparer un sandwich, mais LE sandwich que mamie nous mettait dans notre sac à dos quand on partait à la chasse aux papillons dans les Landes avec mon grand-père. J’ai son livre de recettes, c’est pour toi mamie ce sandwich

Les larmes coulent.

Mettez-vous à la place de Philippe Etchebest deux secondes.

Comment lui dire :

Mais tu vas pas partir sur un sandwich à la con quand même ?

On ne peut pas insulter la mémoire d’un mort. Et surtout pas de mamie. Pas à une heure de grande écoute quand même…

Bravo, elle serait fier de ton plat

finit par concéder le MOF de l’émission, pas convaincu.

Mais essaie de le twister un peu ton sandwich quand même. Mets de l’anguille fumée et du Yuzu dans la sauce histoire de faire palace, le tout sur un barbecue japonais ok ?

Pendant ce temps-là, Hélène Darroze s’excite avec sa grosse cuillère

Elle est pour nous la victoire ici !!

Qui lui donnera tort après trois saisons victorieuses…

Personal branding

À l’heure d’Instagram et des blouses griffées au nom des cuisiniers stars, il ne faut pas s’étonner que le culte de la personne soit arrivé jusqu’aux fourneaux.

Chaque chef est sommé d’avoir un plat signature et de proposer sur sa carte un (gros) bout de lui-même : son terroir, ses racines, sa famille.

C’est d’ailleurs ce que viennent acheter leurs clients : un morceau de leur cuisinier vedette.

Le storytelling vient donc renforcer ce lien entre le chef et ses clients, en fendant l’armure et en délivrant une part d’authenticité (vraie ou feinte).

Il permet de donner de la valeur au plat. Ce ne sont pas des robots qui créent votre soupe. Elle est la vedette d’une histoire humaine délicieuse.

En marketing, on dit souvent qu’on achète sous le coup de l’émotion, et qu’on rationalise après. Le client découvre un plat, est conquis par l’histoire de cette soupe “pas ordinaire”.

L’impact de l’histoire va permettre de faire avaler la pilule de la seule contrariété du repas : l’addition !

Autre atout : cette histoire singularise le cuisinier et son histoire. Vous n’êtes plus dans un restaurant mais chez le chef Untel et son histoire.

Mais est-ce qu’on n’en fait pas trop à force ?

Est-ce qu’on ne prendrait pas les gens pour des c…

Je me souviens d’une oeuvre qui trône dans la section Art contemporain du musée des Arts de Nantes.

Il s’agit tout simplement d’un miroir accroché là par l’artiste Gerhard Richter.

Pour toute personne qui a déjà du acheter des articles de bricolage et aller au moins une fois dans sa vie chez Castorama ou Leroy Merlin, le génie de l’oeuvre se trouve allée 16 à la section des miroirs.

Pourtant, il semblerait que la vraie performance artistique ne se trouve pas sur l’oeuvre en elle-même, mais sur le côté : vous savez, le petit panneau qui explique la génèse de l’oeuvre.

On est clairement dans du storytelling : “le spectateur est renvoyé à sa propre identité”, “les formes passagères vont et viennent”… Vous m’aurez compris, je ne suis pas super fan !

Mais ce qui pose problème, ce que l’histoire est plus travaillée que l’oeuvre en elle-même. Ça pose problème non ?

Heureusement pour cette saison, les plats semblaient au niveau. Ouf !

Mais ce storytelling outrancier soulève tout de même plusieurs points

  • Si on a eu une enfance pourrie, part-on avec un handicap en tant que cuisinier ?
  • Si on n’aime pas sa région, que doit-on cuisiner ?
  • Où peut-t-on trouver de l’ail noir ? J’en trouve pas à Super U…