Comment éviter que votre quête d'autonomie des équipes ne vire au chaos…

Nov 30 2022
VP de l'Ingénierie dans une scale-up européenne pour qui la notion d'autonomie (des personnes et des équipes) est de plus en plus une question de survie, Thomas continue de partager les expériences et leçons apprises collectivement sur cette thématique à l'Agicap. Après un podcast et une conférence à Devoxx France qui retranscrivent les principaux enjeux et les premières étapes de leur démarche, Thomas aborde aujourd'hui un point crucial et décisif dans la réussite de cette responsabilisation par les équipes de la scale-up lyonnaise.

VP de l'Ingénierie dans une scale-up européenne pour qui la notion d'autonomie (des personnes et des équipes) est de plus en plus une question de survie, Thomas continue de partager les expériences et leçons apprises collectivement sur cette thématique à l'Agicap.

Après un podcast et une conférence à Devoxx France qui retranscrivent les principaux enjeux et les premières étapes de leur démarche, Thomas aborde aujourd'hui un point crucial et décisif dans la réussite de cette responsabilisation par les équipes de la scale-up lyonnaise.

Ce matin dans le métro, je me tiens au milieu d'une rame bondée. Quand les gens décident de descendre massivement du train pour une gare qui n'est pas la mienne, je suis bloqué par un flux de personnes sortant à ma droite, un autre flux de personnes sortant à ma gauche, et un pôle central à l'arrière. Je ne peux en aucun cas bouger, seulement décaler légèrement pour laisser passer le flux droit ou le flux gauche plus rapidement. Dans ce contexte, une personne du bon flux qui aimerait s'en sortir encore plus vite, se met à râler à la française (le fameux « Rrrrr ! ») et à me regarder comme si j'étais incapable de comprendre que je devais décaler encore plus pour faire sortir les gens de sa file plus rapidement

Jusqu'à ce que je le lui signale ouvertement, ce grincheux avait un peu oublié que j'avais aussi affaire à une autre ligne (et un poteau central).

L'importance d'avoir une vision globale

Cette mauvaise communication dans le métro me fait un peu réfléchir à certains problèmes qui peuvent survenir lorsqu'on essaie de favoriser l'autonomie dans une structure qui grandit vite. C'est le cas de nous qui avons quitté le rang de startup pour devenir une scale-up (c'est à dire une startup qui a validé son MVP, son business model et qui aujourd'hui grandit de manière intensive).

Dans un tel contexte, l'autonomie des personnes et des équipes est un vecteur essentiel d'efficacité et d'engagement. Mais très complexe à mettre en place.

Lorsqu'on aborde le sujet de l'autonomie des équipes, tout le monde pense naturellement à l'importance d'une communication descendante du top management. Il est vrai que sans informations actualisées sur le contexte global et sur la stratégie de l'entreprise, il est impossible pour quiconque de prendre des décisions locales pertinentes. Et sans prendre des décisions locales pertinentes, l'organisation ne pourra pas aller très loin ni très vite (je vous laisse imaginer l'efficacité d'une organisation cohérente qui, au contraire, ferait valider chaque décision locale par le top management…) . Ce point est assez évident pour tout le monde.

D'un autre côté, peu de gens sont vraiment conscients que les autres équipes qui les entourent sont tout aussi dépendantes de leurs communications.

L'autonomie, un concept plus complexe qu'il n'y paraît

L'autonomie est l'un des concepts les plus difficiles à appréhender finalement. Très souvent, nous n'avons qu'une vision égocentrique et très étroite de cette situation.

Il est facile de confondre Autonomie avec Indépendance (ou même Isolement).

Comme : on prend des informations, et on va travailler seul dans notre région. Ce n'est pas ainsi.

L'autonomie est finalement un éternel problème de transparence et de synchronisation pour tous.

En effet, dans un monde en constante évolution, il est essentiel de rester connecté les uns avec les autres et de pouvoir s'adapter en permanence .

Mais sans savoir ce que font les autres, comment pouvez-vous vous adapter au mieux ?

J'utilise souvent la métaphore des bateaux sur un lac avec mes équipes.

Imaginez que chaque équipe est l'un des nombreux bateaux sur un lac. On connaît tous l'objectif qui était partagé en amont : « il faut aller sur cette île à l'autre bout du lac ». Maintenant, nous devons juste y aller, ensemble.

Et bien si je décide subitement à mon bateau de virer violemment sur tribord sans prévenir mes collègues autour, je risque très certainement de faire chavirer le bateau qui est collé au mien dans ce sens. Si en plus ils prennent des selfies sur le bord de leur bateau, je risque même d'en laisser tomber plus d'un à l'eau en chemin. Oups.

Un nouveau shazam : « J'ai l'intention de… »

Dans le livre « Turn the ship around » qui m'a été très utile depuis mon arrivée à l'Agicap afin d'accompagner ce mouvement vers encore plus d'autonomie et d'efficacité collective, David Marquet explique que la systématisation du « j'ai l'intention de… » était un préalable indispensable à l'autonomisation du sous-marin nucléaire USS Santa Fé.

Le « j'ai l'intention de… » est ce qui permet aux équipes concernées d'intervenir au bon moment pour éviter drames ou gâchis.

L'absence de réponse ou d'opposition suite à une telle intention largement exprimée, correspond donc à un accord. Cela évite à chacun de devoir valider chaque décision avant d'agir (encore une fois dans un souci d'efficacité et d'autonomie).

Reprenons maintenant notre histoire de bateaux. Si avant de virer violemment sur tribord, mon équipe indiquait : « Nous avons l'intention de virer violemment sur tribord dans les 10 secondes », nous laissions soudain l'équipe du bateau qui nous colle à tribord acquitter notre prochain mouvement en disant : « Okay. On va ralentir pour te laisser tourner et passer devant nous », ou alors un « euh… absolument pas ! Nous avons des rochers sur notre droite et un bateau qui nous colle juste derrière… Nous sommes bloqués et vous demandons de patienter un peu ou de prendre une autre direction s'il vous plait ! ”.

Tout ce petit jeu de transparence nous permet de nous synchroniser et de nous aligner sur un plan d'eau où beaucoup de choses peuvent se passer.

Évitez le chaos

Appliqué à un cas plus concret pour nous : si une équipe de développement ne s'exprime pas au plus vite et clairement : « nous avons l'intention de préparer un hot-fix complexe sur ce domaine clé du logiciel », ils privent les autres équipes autour de réagir soit pour éviter un gâchis (« pas besoin, on est déjà dessus depuis longtemps et on a presque fini » d'une autre équipe de dev par exemple), ou encore un drame que l'équipe de support pourrait éviter en réagissant (« ok, mais surtout pas de hot-fix ce jeudi après-midi, car on a une énorme démo investisseur qu'on aimerait sécuriser dans ce créneau »).

Sans ces nombreux « nous avons l'intention de… » de chacun ce n'est pas l'autonomie, c'est le chaos.

Des bateaux qui s'entrechoquent, anéantissant leurs efforts en leur bloquant le passage sans le savoir, des relations « Nous contre Eux » qui émergent et entraînent bien trop de gaspillages et de frictions inutiles dans une organisation qui a besoin de se développer rapidement et efficacement.

Un problème à trois corps

Ce problème d'autonomie et d'empowerment comporte plusieurs aspects :

Un aspect pédagogique d'abord , pour faire prendre conscience à chacun que l'autonomie n'est pas « après moi, le déluge » ou l'isolement les uns des autres. Nous ne sommes pas des libertariens !

Comme la plupart des gens considèrent cette obligation de transparence comme une contrainte insupportable (et qui leur semble antinomique avec la notion d'autonomie), il va falloir définir les bonnes étapes de cette conduite du changement.

En particulier, mettre en place très en amont les conditions de sécurité psychologique indispensables à cette transparence (pour que les personnes ne se sentent pas en danger lorsqu'elles s'expriment) et aussi permettre la prise d'initiatives (permettre aux personnes de faire des erreurs et d'apprendre de leurs erreurs).

Deuxièmement , un aspect pratique et logistique . Il faut organiser les modalités de tous ces échanges et canaux de communication pour que les personnes concernées puissent toutes entendre facilement les « j'ai l'intention de… » des autres, et avoir suffisamment de temps pour réagir ensuite. Pour cela, nous avons décidé chez Agicap d'être cohérent avec la démarche d'autonomie, et de réfléchir ensemble aux meilleurs moyens d'y parvenir (ex : conventions de nommage des canaux spécifiques en slack, SLA des équipes, organisation de meet.town, etc.). C'est toujours un sujet important pour nous, et nous aurons sûrement plein d'autres choses à partager sur le sujet bientôt.

Enfin , le troisième aspect et probablement le plus important : l'aspect culturel , l'impact de la culture actuelle de l'organisation vis-à-vis de cette problématique. Quand on passe d'une startup à une scale-up, il y a des évolutions qui peuvent sembler difficiles à envisager pour certaines personnes encore très attachées au mode de fonctionnement initial. Le mode héroïque où tout le monde se connaît, travaille côte à côte, où on a l'impression que tout va plus vite et où l'on ressent très directement son impact individuel.

Il faut que les gens comprennent que c'est moins l'impact individuel que l'impact collectif qu'il faut désormais viser . Parce que si nous ne changeons pas notre paradigme de démarrage avec un paradigme de mise à l'échelle, nous aurons de sérieux problèmes de livraison et d'efficacité.

Heureusement pour nous, Lucas Bertola, le CTO et l'un des 3 co-fondateurs d'Agicap, était déjà convaincu de l'intérêt de passer à la vitesse supérieure et de l'approche vers plus d'autonomie (thème d'ailleurs longuement abordé avec lui lors de ma 1ère entretien d'embauche). Mais ce n'est pas une garantie suffisante pour le succès d'une telle entreprise.

Pour y parvenir, chacun doit pouvoir se remettre en question. Pouvoir entendre que les autres peuvent nous influencer et influencer nos actions. Qu'un autre bateau peut parfois nous faire dévier de notre trajectoire idéale. Et que ce n'est pas une anomalie. C'est normal puisque nous sommes beaucoup plus nombreux sur le plan d'eau.

Pour moi c'est aussi lié à notre maturité : les personnes qui découvrent ce cheminement vers l'autonomie seront essentiellement centrées sur elles-mêmes et leurs propres problèmes, leur propre efficacité individuelle. Ils ne verront pas le côté systémique dans un premier temps ou y auront moins d'intérêt (attention aussi à ne pas les encourager dans ce sens égocentrique avec des bonus & des objectifs individuels).

Comme très souvent d'ailleurs, il s'agit d'une question de Culture (celle qui « mange de la stratégie au petit-déjeuner » comme l'a brillamment dit un jour Peter Drucker). Si vous voulez éviter de caler collectivement parce que certains ne jouent pas le jeu, il faudra soutenir ceux qui sont restés très attachés au mode de fonctionnement précédent : celui du démarrage où « nous n'avions pas tous ces problèmes et où tout semblait plus simple ».

La possibilité d'avoir des startups au sein de la mise à l'échelle (que nous appelons les gammes de produits) nous permet de trouver des endroits intéressants même pour les personnes les plus réticentes à adopter ce changement de mise à l'échelle. Ça tombe bien car on peut leur proposer des postes et des contraintes de time-to-market qui leur conviennent mieux (ex : retour en mode MVP & startup). Tout le monde est gagnant, mais encore faut-il d'abord comprendre que c'est ce qui bloque certaines personnes…

En ce qui me concerne, c'est justement pour résoudre ce genre d'enjeux de passage à l'échelle et d'efficacité collective que j'ai décidé de rejoindre une scale up aussi ambitieuse et talentueuse que l'Agicap.

Thomas PIERRAIN (VP Ingénierie chez Agicap)

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